Le 5 décembre 1766, Louis Antoine de Bougainville part de Brest à bord de la frégate La Boudeuse pour un premier tour du monde français. En 1771, l’ouvrage tiré de ce périple, Voyage autour du monde, touche particulièrement les consciences pour les pages que l’auteur consacre à Tahiti, où il accosta, en avril 1768. Cette « nouvelle Cythère » lui semble un Eden terrestre, et les mœurs tolérantes et aphrodisiaques de ses habitants lui inspirent une peinture qui renchérit le mythe du « bon sauvage ».
Près de trois siècles plus tard, c’est au tour d’Albert Serra, le plus résolument baroque des cinéastes espagnols, d’accoster sur ce territoire, devenu Polynésie française. Le paysage, entre-temps, s’est obscurci. L’amiral Abel Aubert du Petit-Thouars, Paul Gauguin et Mururoa sont passés par là. Soit la violence de l’emprise coloniale, la voluptueuse détresse du paradis perdu, le cynisme criminel des essais nucléaires. C’est sous ces auspices que Serra signe son film le plus insolent et le plus majestueux.
En son centre, costume blanc assorti à la Mercedes diplomatique, désinvolture de propriétaire : on a nommé le haut-commissaire de la République française de Roller. Benoît Magimel, jamais meilleur, l’incarne. Tout autour, le décor de carte postale se prête à la dérive. Entre le flamboiement des cieux et le miroitement turquoise de la mer, le M. Homais préfectoral exsude dans l’enchaînement flaubertien des vues pittoresques et d’une puissance qui se délite.